samedi 3 novembre 2007

ANAHAREO


AVANT PROPOS
Quand j’ai découvert en rangeant le grenier de la vieille ferme que m’avaient laissée mes parents, ce livre intitulé : Des hommes et des bêtes, je ne réalisais pas encore l’incroyable richesse de ce manuscrit. Ce livre, je le connaissais parfaitement, les quelques photos qui l’illustraient avaient bercé ma jeunesse. On y voyait en noir et blanc, d’immenses lacs canadiens, de gigantesques forêts, un trappeur et sa compagne en prise directe avec la nature et les animaux. C’était pour le jeune pensionnaire que j’étais, l’occasion unique de faire un voyage en partance vers les grands espaces et de m’immiscer au sein d’une nature que je ne connaîtrais probablement jamais. Ce livre était fait d’une couverture cartonnée vert olive, elle-même recouverte d’un léger papier transparent de protection posé par ma mère. Je revois encore la jaquette d’époque faite d’une photo ancienne, montrant Grey Owl entrain de pagayer sur des eaux qui ondulaient à peine sous l’impulsion de la pagaie. Bien sûr j’en entrepris la lecture et un étrange attachement me lia alors à ce couple de trappeur chasseur de peaux. Un attachement proche de la fascination ; Grey Owl, Hibou gris se présentait comme moitié écossais et moitié Apache ; sa compagne Anaharéo était une Iroquoise pur-sang et je dois dire que chacun à leur manière, étaient beaux comme des Dieux et symbolisaient les fantasmes d’aventures, les plus incroyables qu’il soit possible d’envisager.
En feuilletant et en lisant ce surprenant récit, attablé seul à la terrasse d’un restaurant, je découvris que sa date de publication était de 1951 et qu’il n’avait été tiré qu’à cent exemplaires. À partir de ces découvertes, je me mis à philosopher sur le sens même d’un livre en général, sur sa durée de vie, sur ce qu’il véhicule et porte en lui. L’exemplaire parfois unique d’une œuvre maintient en vie une histoire, ses héros et son auteur. Le livre que je venais de découvrir n’avait été probablement lu que par une cinquantaine de personnes à travers le monde et sa rareté lui conférait à mes yeux, encore plus de richesse. J’étais donc en possession d’un extraordinaire trésor et le fait que cet ouvrage ai tutoyé mon enfance, lui donnait encore plus de valeur.
Le soir même en rentrant chez moi, je déterminais quel serait l’axe de ce que j’écrirais sur ces deux héros du début du siècle.
Alors que je m’apprêtais dans une sorte de frénésie compulsive à écrire, je me dis qu’après tout, nous étions à l’époque d’Internet et que peut-être sur le réseau des réseaux, on parlait des ces étranges aventuriers. Je tapais donc sur un moteur de recherche le nom de Grey Owl. Quelle ne fut pas ma surprise, on disait tout sur lui, sur sa vie, ses écrits, sur son épouse et leurs aventures. Cet homme était au Canada et aux États-Unis une légende et ses travaux avaient à l’époque connu un succès certain. J’appris qu’en réalité, il était anglais, mais qu’il s’était fait passer pour un sang-mêlé toute sa vie. Trappeur, il avait traqué les castors, vendant leurs peaux, les tuant au début sans pitié, pour finir par s’attacher à ces animaux découvrant leur richesse, leur intelligence. Dès lors la décision de ne plus les tuer devenait inévitable en même temps qu’elle condamnait son activité. Il avait alors décidé en accord avec sa compagne, d’étudier le peuple des castors et de le protéger. Grey Owl était présenté sur les sites qui lui étaient consacrés comme le précurseur de l’écologie.

Mais fiction oblige, ces incroyables personnages ne seront que le support d’une nouvelle qui pourtant sera chargée de faire leur apologie.
Les lignes qui vont suivre, sont dédiées à Grey Owl et à Anahareo et si cette histoire est une fiction, leur combat et leur mode de vie en osmose avec la nature ne doit pas être oublié. Cet homme qui n’était pas Indien, fut fasciné par ces peuples dits « primitifs », massacrés par les colonisateurs, alors qu’ils auraient pu vivre en harmonie avec eux et avec cette philosophie Indienne et ses croyances empreintes de sagesse et de respect de la nature.


Quelque part dans les brumes
matinales du lac Ontario
C’est une vision féerique qui s’offrait à moi lors de la dissipation des brumes matinales. Des particules d’eau en suspension voyageaient lentement dans le sens d’un vent naissant, seulement éclairées par les quelques rayons du soleil qui commençait à poindre. Les formes diaphanes de la forêt n’étaient encore qu’ombres diffuses, mais dans quelques instants elles deviendraient lumière. Au loin quelques cris d’animaux me faisaient savoir que je n’étais pas le seul à apprécier ces moments privilégiés. Je restais quelques instants dans cette contemplation particulière, puis repartis.
J’avais relevé une grande quantité de pièges laissés sur la piste et mon butin s’avérait précieux en peaux d’animaux sauvages. Je voyageais léger et c’était là le secret de mes relatifs succès. Les trappeurs, garnisons de soldats et même les Indiens, tous appréciaient mon style de chasse basé sur la rapidité et les raides solitaires. Je considérais la trappe comme un art, non celui de tuer mais l’art de vivre en complète harmonie avec la nature en refusant l’industrialisation nouvelle. J’avais compris que la civilisation et ses excès, mettraient un terme aux horizons sauvages, aux étendues poétiques, à la terre telle que le créateur nous l’avait offerte. En cela mes préceptes rejoignaient la philosophie et les croyances indiennes. Mon désir n’était pas de domestiquer les immensités, mais de me fondre en elles, voir, d’appartenir à ces forêts et ces espaces qui m’accueillaient.

*

La piste était montante, et comme à mon habitude j’avançais à marche forcée à l’aide de mes raquettes, ne laissant qu’une empreinte légère sur la neige. Je rejoindrais les cabanes de trappeurs à la nuit tombante, elles étaient situées sur l’autre versant de la vallée. Nous étions en novembre et le froid, même s’il n’était pas encore trop intense ne laissait pas de place à l’improvisation et à une marche mal préparée. La piste est toujours dangereuse et vivre en harmonie avec la forêt signifie également en connaître l’intégralité de ses dangers
Longeant un immense dévers qui voyait s’écouler violemment les eaux du torrent tout au fond de la gorge, j’appréciais en silence l’intensité du spectacle. L’eau semblait bouillonner et se fracassait contre d’énormes rochers montrant ainsi toute la violence contenue de cette région.
Haut dans le ciel, un groupe de grues blanches se déplaçait vers des contrées plus clémentes et leur vol lent et ordonné, indiquait à celui qui les contemplait d’en bas, combien leur survie est aléatoire et due à leur volonté sans faille d’atteindre leur but. Leurs frêles silhouettes se découpaient en ombre chinoise sur un ciel devenu bleu translucide. Je ne manquais pas de faire un parallèle entre eux et ma modeste condition. Mon sort n’était pas plus aisé, leur vie comme la mienne ne tenait qu’à un fil ou à quelques battements d’ailes. Simplement nous possédions en commun une richesse inestimable, la liberté des grands espaces.
Pendant cette longue course je relevais les pièges et c’est avec une bonne provision de peaux que je me présentais à l’entrée des trois maisons de bois qui formaient le village des trappeurs. Les maisons de trappeurs semblaient lutter contre la neige et le froid et je fus heureux de pouvoir me réfugier chez John qui m’accueillit avec toute la chaleur des habitants des régions isolées.
— Wa-Sha-Quon-Asin, mon vieil ami ! Tu ne préviens ni quand tu pars, ni quand tu arrives, tu es comme le vent qui se faufile tel une ombre invisible entre les gorges et les canyons !
— Non, John, je suis comme la pirogue qui glisse silencieusement sur les eaux des rivières qu’elle parcourt.
Nous tombâmes dans les bras l’un de l’autre, il y avait près d’un an que nous ne nous étions vus.
— Le poêle apportait une chaleur diffuse dans la pièce dont les murs en rondins calfeutrés par de la mousse semblaient subitement devenus géants.
Devant un verre de Caribou, nous parlâmes longtemps, du passé des grands raides solitaires des trappeurs, de la fin des guerres indiennes qui avaient décimé mon peuple. En tant que sang-mêlé je ne supportais pas la façon dont s’étaient conduits les blancs et ma moitié indienne prenait le pas sur ma moitié écossaise. À présent les blancs perpétraient le massacre des animaux par des méthodes de destructions accélérées qui ne ressemblaient en rien avec le métier de trappeur que nous pratiquions par nécessité et non par profit.
— Mais au fait qu’est devenue cette Indienne dont tu m’as parlé avec tant de fougue lors de notre dernière rencontre, c’était une descendante des Iroquois si je ne m’abuse.
— Il y a de nombreux mois que je ne l’ai revue ami, mais je suis étonné que tu me parles d’elle, je revoyais son visage alors que je longeais la piste il y a à peine quelques heures. Mes pensées vont souvent auprès d’Anahareo et je dois t’avouer que je n’ai jamais pu oublier son étrange beauté. Vois-tu il y a en elle comme quelque chose de lointain, d’inaccessible, cette femme propose pour ceux qui l’approchent, mystère, mysticisme et profondeur. Sa beauté n’est pas que le reflet de son image externe, elle est intérieure et je crois que c’est ce qui me plaît.
— Et bien ! Je vois que tu es loin de l’avoir oubliée et ma question n’était pas fortuite, déjà à l’époque tu m’avais parlé d’elle en termes élogieux.
— Ami, tu me connais parfaitement, tu sais que je serais capable si tu pouvais m’écouter aussi longtemps de te parler d’elle toute une nuit, d’autant que les prochaines lunes me mèneront vers son village.
John tira une profonde bouffée sur sa longue pipe, sembla réfléchir en inspirant la fumée et dit soudain : Nous aurons bientôt l’occasion de nous réjouir, nous ferons une très longue fête pour votre mariage !
Je le traitais de vieux soiffard et le bousculais amicalement, ayant du mal à concevoir et à imaginer mon attachement à une femme aussi belle et pure soit-elle.
Quelques verres après, nos esprits s’embuèrent dans les méandres de ce que nous avions vécu, de ce que nous espérions vivre et de ce que nous serions amenés à vivre encore. C’est alors que je m’endormis pendant que le poêle semblait donner une seconde vie aux bûches qui se consumaient en crépitant dans son âtre minuscule.
Le lendemain John me prêta un traîneau et quelques chiens ; la solidarité est un élément important pour les voyageurs de ces contrées lointaines. Je repris la route tôt le matin, la neige tombait à nouveau en légers flocons qui semblaient flotter dans l’air avant de se poser délicatement sur la couche de la veille, souillée par les allées et venues des jours précédents.
C’est dans cette virginité retrouvée que je m’élançais à nouveau après avoir dit au revoir ou adieu à mon ami trappeur. Dans ces contrées lointaines et dangereusement troublées, quand on quitte un ami, on ne sait jamais si on lui dit au revoir ou adieu. Mais au fond, n’en est-il pas toujours ainsi dans la vie quel que soit l’endroit ou l’on se trouve ? Le temps ne nous appartient pas, nous n’en sommes pas maître, il joue avec nos destinées et même si nous souhaitons toujours le meilleur pour nos pauvres vies, le pire n’est jamais bien loin…
Les chiens au nombre de sept, semblaient particulièrement apprécier cette neige immaculée et fendaient l’espace ne laissant derrière eux que la trace du traîneau et quelques empreintes de pattes vite recouvertes. J’avais laissé à John quelques peaux mais elles ne suffisaient pas à le dédommager du traîneau qu’il m’avait laissé et il était important que ma quête de fourrure et de gibier s’avère fructueuse.
Il y avait à présent plusieurs heures que nous tracions notre route en direction des grands lacs et malgré quelques rares pauses nous avions déjà parcouru un long chemin. J’avais secrètement en tête de retrouver Anahareo l’Iroquoise, mais son village était à de nombreuses lieues et il me faudrait quelques jours avant de la rejoindre.
Les chiens traçaient la piste entre ciel, montagne et glace et dans cet univers à la frontière des rêves les plus fous et du surnaturel, tandis que mon esprit rejoignait Wakan-Tanka, le Grand Esprit créateur de l’univers, qui seul, m’offrait ce qu’il m’était donné de voir. Il n’y avait nulle trace de passage humain.
La première lune passa rapidement nous avions parcouru une cinquantaine de miles et trouvé avant la tombé de la nuit un refuge de trappeurs. Je pus faire un feu et nous passâmes mes chiens et moi-même une nuit de rêve.
J’imaginais en cette occasion que ces animaux, mes complices et avec lesquels j’étais uni dans cette nouvelle aventure rêvaient eux aussi. Quels pouvaient être leurs rêves ? Ils étaient en prise directe avec les plus beaux espaces, créaient eux-mêmes leur trace dans une neige pure et vierge, sur des territoires isolés, seulement parcourus par des animaux sauvages en quête de nourriture. Peut-être à l’instar des humains rêvaient-ils d’une femelle idéalisée, fantasmée encore plus belle que celles qu’ils avaient pu croiser dans leur parcours au long cours. Je m’endormis en faisant un parallèle entre leur vie et la mienne et me dis que finalement comme je l’avais toujours pensé, nous étions très semblables. Anahareo m’apparue dans mes rêveries, comme la plus belle des Iroquoises et je n’étais plus qu’à cinq lunes d’elle.
Les jours qui suivirent, notre parcours fut encore plus exceptionnel durant la journée. Malheureusement nous ne trouvâmes pas de campement ou de cabane de trappeurs et nous dûmes, mes chiens et moi dormir dans les tentes que nous transportions.
Ce fut tout au long de cette lente odyssée, une succession d’émerveillements tant la beauté et la variété des paysages que nous traversions comblaient mes sens. Sous mes yeux émerveillés le spectacle de gorges enchâssées entre des sapins, laissant s’écouler des eaux tourbillonnantes. Enfin plus bas et plus loin le spectacle reposant des eaux à nouveau apaisées.
Le soleil se levait et réchauffait mon corps alors que le traîneau glissait comme par magie, mû par les efforts conjugués de mes chiens qui semblaient s’adonner à cette pratique avec un visible plaisir. Après de longs miles, nous arrivâmes au pied d’une chaîne de montagnes que je connaissais bien. Si nous prenions mes chiens et moi le sentier de montagne très escarpé et dangereux à cette époque de l’année, nous évitions deux jours de traîneau. Je décidais d’une halte qui fit plaisir aux chiens et durant cette pose réfléchissais à ce qu’il valait mieux faire. Ma raison me disait de contourner la chaîne de montagne, de ne prendre aucun risque à pareille époque. Mais à peine ma raison avait-elle fini de s’exprimer que mon cœur enflammé de la passion qu’il portait secrètement à la belle Indienne me soufflait de prendre le raccourci qui me permettrait de la retrouver plus rapidement. Les chiens indifférents au choix que je ferai s’étaient allongés sur la neige attendant l’ordre de se remettre en route. Finalement je choisis le sentier à flancs de montagne et nous engageâmes le traîneau sur l’étroite piste.
Durant de longs moments, bien que la piste fût dangereuse nous évoluâmes dans des conditions de sécurité à peu près correctes, et les choses se passèrent bien. Mais à l’orée d’un virage, la piste se rétrécit vraiment et il devenait impossible de continuer. La neige s’était remise à tomber et le vent se levait progressivement, rendant notre progression de plus en plus difficile. En quelques instants les conditions devinrent épouvantables. J’étais au milieu de la tourmente, à quelques mètres de moi le précipice, il m’était presque impossible de voir où était l’étroit passage que je devais emprunter. La mort rôdait, je l’avais sentie présente en d’innombrables fois, mais là, elle était à côté de moi, toute proche, à un mètre ou deux du vide. Pourtant une seule pensée m’habitait, ne pas mourir sans avoir revu Anahareo. La tempête se déchaînait de plus belle. Je m’efforçais de ne pas tourner mon regard vers le précipice. L’appel du vide est pour l’être humain une force attractive envoûtante mais terrifiante. Plusieurs fois je manquais tomber. Par je ne sais quel miracle, j’échappais à la mort. J’amarrais solidement le traîneau à la faveur d’une petite excavation rencontrée sur le chemin et attendis plusieurs heures abritées sous d’épaisses peaux, après avoir mis également les chiens à l’abri.
Le temps s’écoula, comme souvent en pareil cas, de façon intemporelle, il m’était impossible d’évaluer la durée de la tempête et combien de temps nous resterions ainsi.
Enfin les éléments s’apaisèrent, je décidais de reprendre la route. Une épaisse couche de neige s’était déposée sur l’étroit passage, mais curieusement la route n’en était pas plus dangereuse pour autant. Nous pûmes donc poursuivre notre chemin jusqu’au sommet.
Arrivé au sommet de la montagne, la piste s’élargit, nous avions gagné. Les chiens s’arrêtèrent et attendirent sagement. Il y a chez ces animaux une fidélité et un dévouement en regard de l’homme qui devrait toujours nous rappeler le rôle protecteur que nous devons avoir à leur égard.
La descente fut agréable, parsemée de larges arabesques tournant autour des flancs de la montagne, des arbres cernant le chemin et semblant nous faire comme une haie d’honneur, alors que les chiens accéléraient leur course, comme pour nous signifier que nous avions vaincu les difficultés. Arrivé dans la vallée, je constatais que nous étions cernés par la chaîne de montagnes que nous venions de traverser. Mon attelage apparaissait comme minuscule dans cet environnement grandiose, les eaux du Saint-Laurent coulaient en contresens alors que nous empruntions la piste vers les réserves indiennes. La tribu d’Anahareo n’était plus qu’à une journée de traîneau.
Nous arrivâmes à l’entrée de la réserve, à la nuit tombante. Le soleil s’était retiré quelque part entre l’horizon et les montagnes, et une nuit transparente offrait à mon regard une voûte céleste bleue de Prusse. Arrivé au campement des Iroquois, je constatais que les tentes étaient en mode hivernal ; des petits murets de neige protégeaient les Indiens du froid et du vent. Je me rendis compte une fois de plus, que depuis l’ouverture des réserves, les Indiens, où ce qu’il en restait vivaient dans un état de pauvreté extrême. Les blancs leur avaient tout pris, leurs prairies, les grands espaces, les bisons, leur liberté… Ils étaient à présent parqués comme des bêtes sauvages, dans des réserves indignes de leur rang. Mon vieil ami Akecheta, un sage de la tribu, m’accueillit comme savent le faire les Indiens, mettant à chaque geste une attention et un cérémonial qui me hissait au rang de guerrier influent et respecté. Je détachais les chiens, les mis à l’abri, puis nous rentrâmes dans son tepee et fumâmes la pipe. Nous bûmes aussi le…
« Mais parle-moi d’Anahareo, va-t-elle bien ? Sera t-elle heureuse de me revoir ? Je dois t’avouer que j’appréhende de la retrouver, comment va-t-elle m’accueillir un an après ?
— Tu sais que cette jeune femme est semblable aux flammes d’un feu tournoyant au gré du vent, elle est changeante, capricieuse, indomptable et dangereuse. Celui qui l’approchera trop près se brûlera sûrement, prends garde Grey Owl. Me répondit Akecheta. Et il partit d’un éclat de rire qui résonna dans toute la tente.
— Puis-je la voir demandais-je à mon vieux complice ?
— Tu sais très bien que cela n’entre pas dans nos coutumes, je lui dirais demain matin que tu es parmi nous. Et il se lança dans une diatribe poétique porteuse de philosophie indienne : « Passager de la nuit Hibou Gris est venu parmi nous sur un nuage de vent, dans le sens opposé aux oiseaux migrateurs, guidé par la lune et mû par le dessein de prendre épouse. Le nom de la bien heureuse aimée du grand chasseur nocturne est Anahareo descendante des plus fiers guerriers Iroquois. »
Je ris de bon cœur, il y avait un peu de folie dans les propos du vieil Indien, mais parfois la folie est un bon remède contre les maladies de l'esprit. Le rire lui-même, est un élément de bien-être et de détente allégeant les souffrances quotidiennes. Le lendemain matin je m'éveillais de bonheur, selon une habitude de trappeur. J'avais dormi dans le tepee d'Akecheta, le feu était toujours vivant et quelques bûches encore rouges signifiaient que le vieil Indien avait veillé sur moi et préservé mon confort. Après un café et après m'être renseigné sur l'état de santé de mes chiens, je lui manifestais le désir de voir Anahaero. Enfin la belle apparut, elle avait ce charme et cette beauté surprenante qu'ont certaines femmes, qui restent séduisantes même dans cette courte mort qu'est le sommeil nocturne et se présentent touchantes et désirables à leur réveil. Quand elle me vit, elle eut le réflexe de courir vers moi, mais se retint et me jeta un regard réprobateur :
« C'est évidemment le trafic des fourrures qui t'amène jusqu'à notre village. La dernière fois que tu es venu j'ai eu la faiblesse de croire que c'était pour moi. À présent je connais les trappeurs, ces loups solitaires qui tuent leur proie et ne s'attachent à personne. » J'essayais de protester.
— Anahareo…
Elle semblait remontée et déversait probablement plusieurs mois de rancœur.
— Ne m'interrompt pas Grey Owl, tu dois entendre ce que j'ai à te dire. Quand une femme aime, elle s'engage à fond, sans retenue, donnant son cœur sans partage. Je t'avais choisi, tu ne pouvais pas repartir ainsi. Tu m'as offensée et si tu es devant moi aujourd'hui pour obtenir mon pardon, sache que je vais te faire cruellement souffrir ! Puis à la fin de cette diatribe, elle se jeta sur moi et m'embrassa. Je chavirais complètement… Anahareo m'avait ensorcelé.
Ainsi sont les femmes que l’on aime, elles vous emportent dans un tourbillon où leurs paroles se mélangent à nos fantasmes nous emmenant sur les chemins d’un servage que l’on ne désire plus quitter.
Les jours suivants je les passais en compagnie d’Anahareo, nous fîmes de grandes ballades au cœur de la réserve, malgré le froid qui s’intensifiait. Je découvris en cette occasion qu’elle avait l’âme d’un poète, et un profond respect pour la nature, les animaux et toute chose offerte à l’homme par le créateur.
Anahareo était heureuse et fière de me montrer sa réserve. Cette réserve était le tribu que les populations indiennes payaient aux colonisateurs blancs, mais en même temps elle était leur dernier espace de liberté. Nous faisions le tour de la réserve sur un seul cheval et Anahareo me tenait enlacé par la taille, posant de temps à autre le plat de sa main sur ma poitrine. En cette occasion mes dernières barrières s’écroulaient et je rendais les armes, les déposant aux pieds d’Anahareo. Bercés par le pas tranquille d’Étoile Filante, nous suivions la piste de la réserve, je réalisais qu’en m’attachant à ma jeune compagne, je perdais mon identité de trappeur pour être tour à tour son protecteur, son guerrier, son époux, pour finir enfin par devenir son esclave.
Anahareo connaissait chaque rocher de cette immense réserve. Chacune des caches d’animaux, le moindre petit terrier m’étaient dévoilés et c’était un immense bonheur de découvrir ces trésors en sa compagnie.
Une rivière serpentait agréablement à côté du chemin que suivait Étoile Filante et malgré les premiers frimas de l’hiver le paysage était agréable. J’étais habitué à la beauté sauvage de ces régions et normalement rien de ce qui touchait à la nature n’aurait dû me surprendre. Mais là, en présence d’Anahareo, la réserve m’apparaissait comme magnifiée, bien plus belle qu’elle n’était probablement en réalité. En passant devant un tepee Anahareo me montra deux Indiens, d’un regard inquiet.
— Celui qui explique quelque chose au plus jeune, c’est Corne furieuse, l’autre est son jeune frère. Corne furieuse est une honte pour notre village. Il vend des armes, de l’alcool et des munitions. Les pires bandits sont ses amis, et, comble du déshonneur pour moi, il prétend m’épouser. C’est une brute infâme ; j’ai peur Grey. Tu me protégeras ?
Je sentais son désarroi alors qu’elle me parlait, instinctivement elle s’était encore rapprochée de moi. Je lui promis.
— Je te protégerais Anahareo, j’ai vu bien des paysages et visité bien des contrées, mais tu es ma seule richesse en ce monde. Ton esprit est ma voûte céleste et tes yeux mes étoiles. L’émotion l’avait envahi, l’espace d’un instant et je compris à quel point nous étions dorénavant proches l’un de l’autre.
Au loin, Corne Furieuse maugréa quelques paroles à notre encontre en tendant le bras vindicativement dans notre direction. Cet individu était réellement dangereux, nous devions être sur nos gardes.
Le chemin qui m’avait conduit à Anahareo avait été périlleux, mais libre et solitaire j’affrontais le danger sans peur, je n’avais rien à protéger. Mais en cet instant alors, qu’en osmose avec la nature nous avancions sur les chemins de l’amour, je compris que je me devais à ma compagne. Dans toutes les civilisations l’engagement de deux personnes est un acte fort précédant la procréation.
Nous nous arrêtâmes tout en haut de la vallée sous l’arbre fétiche de la jeune femme, un érable géant.
Sous nos yeux, s’étendait ce qui semblait être l’humanité tout entière s’offrant à nous, dans la transparence d’une neige diaphane éclairée par un soleil diffus. Vallons ; plaines, rivières ou ruisseaux formaient dans ce paysage magique un terrain de chasse propice aux guerriers disparus, généreusement offert par le créateur de l’univers Wakan Tanka. Emporté par la beauté des éléments je scellais mon sort à celui de ma compagne en lui demandant sa main. Le baiser qu’elle me donna en retour me transporta dans cette vallée à la beauté chamanique sur les pas du Grand Esprit.
Le mariage fut fixé aux premiers jours du printemps. Selon la coutume indienne je revêtirais la coiffe aux cinquante plumes d’aigles et nous serions enveloppés l’un et l’autre ensemble dans le manteau nuptial qui symbolisait la force que les époux tireraient de leur union. La famille d’Anahareo m’avait toujours accueilli favorablement et Grey Owl était dans leur esprit, comme un des leurs.
Durant l’hiver je décidais de vivre complètement à la manière d’un Indien et je passais le plus clair de mon temps à m’imprégner de leurs coutumes, de leur art, de leurs méthodes de chasse. Même si je connaissais particulièrement bien le mode de vie des…, d’une tribu à l’autre les coutumes et les habitudes changeaient radicalement. De mon côté j’appris à certains guerriers à poser des pièges, à les relever.
Les guerres indiennes étaient achevées, nous étions à présent à une époque ou les connaissances et les croyances des deux mondes, le monde des blancs et celui des Indiens, allaient s’interpénétrer. Le choc de ces deux civilisations avait été dévastateur, et il était important que subsistent des guides, afin qu’une certaine harmonie se dégage enfin. J’appréciais particulièrement les discussions avec les sages, d'où il émanait une philosophie planétaire à nulle autre pareille. La fumée de la pipe et les chants incantatoires entamés certains jours pas les anciens de la tribu, faisait que pour la première fois de ma vie, je me sentais enfin chez-moi.
Certains soirs, à la lueur du feu, je consignais les faits et coutumes les plus marquants de cette extraordinaire existence, dans un carnet, les accompagnant de dessins un peu maladroits qui traduiraient aux yeux du monde entier ce qu’était la vie de ces peuples nomades, parqués dans les réserves de l’oubli. Mon but était d’envoyer mes écrits accompagnés de dessins et de photos en Europe ou j’étais en relation avec une revue qui publiait des articles sur les grands voyageurs.
Les jours s’écoulaient ainsi entre pauvreté, misère, fierté et respect de traditions qui s’éteindraient sûrement avec le temps.
Mais s’il est certain que toutes les civilisations sont appelées à disparaître, chacune porte en elle sont cortège de scribes, artistes, peintres, sculpteurs ou acteurs chargés de glorifier et de témoigner, soit par leurs œuvres ou même par transmission orale. J’étais un de ces messagers, chargé de rendre compte afin que se perpétue la gloire d’une civilisation qui allait s’éteindre, sorte de témoin du passé à destination de l’avenir.
Je venais d’épuiser mes réserves de pellicules photographiques, mais auparavant les membres de la tribu s’étaient prêtés de bonne grâce au jeu de la photographie, à l’exception de Corne Furieuse et de son jeune frère.

*

L’amour quand il surprend deux êtres est comme l’accomplissement d’une existence, les éléments externes à ce bonheur n’ont alors plus de prise et les heureux élus s’enferment dans ce qui pourrait être considéré comme un égoïsme passager mais qui n’est en fait que le nécessaire chemin à son accomplissement.
Nos ne vîmes pas Anahareo et moi, le temps passer. L’hiver s’écoula lentement, mais même rude il nous sembla être le délicieux messager d’un printemps qui arrivait subrepticement. Un matin donc, la neige avait fondu et les premiers signes du printemps se manifestaient joyeusement. En quelques jours, qui en fait furent probablement quelques semaines le printemps avait envahi la réserve, ce qui ressemblait à une nature rude et hostile devint une succession de paysages aux accents romantiques. L’herbe épaisse et grasse assurerait aux bêtes, fourrage et nourriture, les arbres ornés de multitudes de fleurs annonçaient une abondance qui se traduirait en fruits divers, les ruisseaux formaient sous l’effet des neiges fondantes des rivières riches en poissons, alors que l’ensemble des animaux se préparaient déjà à se reproduire afin d’honorer le créateur de cet univers en tout point fascinant pour l'homme.
J’avais décidé de partir en compagnie de quelques jeunes guerriers dans le but de nous initier mutuellement à nos différentes méthodes de chasse. Je leur montrerais comment je chassais et eux m’instruiraient sur les mœurs et habitudes indiennes.
Nous nous enfonçâmes profondément dans la forêt, et notre marche silencieuse me rappelait immanquablement mes longues trappes solitaires. Les guerriers avaient volontairement laissé les carabines à répétitions vendues par les blancs pour revenir aux anciennes méthodes de chasse à l’arc et aux flèches. Le pisteur me montra en cette occasion que malgré leur jeune âge ces guerriers étaient déjà de redoutables chasseurs. Le gibier repéré, ils le traquaient avec obstination et leurs flèches allaient aussi vite que nos balles, atteignant presque à chaque fois leur but.
La journée avait été belle et propice aux amitiés naissantes, les jeunes chasseurs m’avaient adopté et je dois dire que je me sentais heureux en leur compagnie. Il y a un vrai bonheur pour l’homme plus expérimenté, à partager ses expériences avec de jeunes hommes. Je pense que le plaisir de transmettre lié à celui du partage, induit un sentiment d’utilité revivifiant pour l’homme dans sons sens le plus large.

Nous arrivâmes au camp, le soir alors que la journée s’achevait et que dans quelques heures la nuit transformerait chaque chose en ombre, étendant son obscurité sur la réserve. Je perçu une certaine agitation, des hommes discutaient entre-eux avec fébrilité et certaines femmes se lamentaient en invoquant le ciel. Plusieurs hommes vinrent à nous dont Akecheta.
« Corne Furieuse vient d’enlever Anahareo !
Mon sang se glaça instantanément, comme si j’avais inconsciemment prévu que cela arriverait.
— Combien de temps ont-ils d’avance ?
— Cinq heures environ, prends deux guerriers avec toi. M’ordonna Akecheta.
— Non, c’est une affaire entre lui et moi, je pars sur le champ seul.
— Je pris rapidement ma carabine quelques provisions, et me lançais à leur poursuite. »
La piste qu’ils avaient empruntée était dangereuse, elle serpentait à travers une série de gorges escarpées où les chemins étaient plus des passages que des voies accessibles et tracées. J’avais cinq heures de retard, je ne les rattraperais pas avant la tombée de la nuit. Je devrais attendre le lever du jour pour reprendre la route. Effectivement, peu de temps après mon départ, le jour se mit à décliner, un disque parfait disparaissait derrière les flancs de la montagne. Je dû me résoudre à planter ma tente et à faire un feu. Après un frugal repas, j’observais au loin dans la direction où devait se trouver ma bien-aimée. Elle était en compagnie de cet être méprisable et dangereux qu’était Corne Furieuse. Je savais qu’Anahareo ne s’en laisserait pas compter, et qu’à ce titre son ravisseur pourrait rapidement devenir cruel et violent.
Ce que les autres membres de la tribu m’avaient raconté à son sujet m’inquiétait, Corne Furieuse était une crapule et il avait en lui beaucoup de vices.
Bien que la nuit soit à présent définitivement tombée, le ciel était encore clair et je pouvais voir au loin assez facilement. Après avoir scruté l’horizon je vis dans le lointain, à une distance qui me paraissait énorme, une fumée qui s’élevait d’un point précis de la forêt. Anahareo, Corne Furieuse et son jeune frère étaient sûrement à cet endroit. Prenant mon fusil, je tirais un coup de feu en l’air. La détonation résonna longtemps dans le silence de la nuit canadienne. Je venais de prévenir Anahareo que j’étais bien à sa recherche et Corne Furieuse que je venais pour la délivrer. À peine l’aube éveilla-t-elle les silhouettes fantomatiques des arbres, que je me remis en marche. Ce que j’avais à faire était simple, retrouver ma compagne. Je me sentais à égalité avec Corne Furieuse, il connaissait la contrée mieux que personne, mais j’étais habitué à la traque du gibier sauvage…
Bondissant de rocher en rocher je suivais la rivière ; d’énormes cascades surplombant des dénivelés escarpés, voyaient des tonnes d’eau s’abattrent dans de gigantesques réservoirs naturels. C’était cela le Canada, un pays à la dimension de ce qui paraissait à l’homme être un univers. Au fur et à mesure que j’avançais je ressentais un état étrange ou la peur se mêlait à l’excitation et je percevais que ce n’était plus mon cerveau qui me dirigeait mais uniquement mes jambes. Elles me poussaient à atteindre mon but dans les délais les plus courts. Un peu comme s’il n’avait sagit que d’un jeu.
Corne Furieuse suivait la rivière il n’y avait pas d’autre voie. Pendant de très nombreuses heures je courus ainsi ne me reposant pour ainsi dire pas.
Puis d’un coup je ralenti, nous étions à la fin de la journée, le soleil commençait à décliner, mais je savais qu’ils étaient là, je le sentais. L’instinct du chasseur.
Je repris un rythme rapide mais en écoutant l’ensemble des bruits de la forêt, si j’étais proche d’eux il y aurait forcément à un moment donné quelques bruits qui m’alerteraient sur leur présence.
Ma carabine était chargée, mais j’espérais secrètement ne pas m’en servir. J’ai toujours eu un profond respect de la vie qu’elle soit humaine, animale ou même végétale. Et si je traque du gibier c’est uniquement dans le but de me nourrir et j’honore toujours la mémoire de la courageuse victime, dans la pure tradition indienne.
Au détour d’un chemin j’aperçu deux hommes, une femme était avec eux, elle semblait attachée et faisait ce qu’il fallait pour retarder leur avancé. Je vis Corne Furieuse frapper Anahareo parcequ’elle les retardait. Aucun des deux hommes n’avaient encore remarqué ma présence.
Je les interpellais :
« Corne Furieuse relâche Anahareo, nous parlerons après »
Pour toute réponse, une balle passa tout près de moi.
— Je veux discuter, je ne souhaite pas que nous nous entre-tuions.
Un tir nourri suivi mes propos de conciliation. De plus je ne pouvais pas tirer, j’aurais risqué de blesser Anahareo.
Protégé derrière un rocher, j’essayais de voir ce qui se passait.
Une silhouette masculine fit un pas de coté. Je tirais, un seul coup de feu. Je vis l’homme s’écrouler. Un des deux hommes était blessé. J’attendis un moment, puis j’appelai Corne Furieuse… Vous avez un blessé… Je viens.
Je n’obtins nulle réponse si ce n’est une vague plainte.
Le jeune frère de Corne Furieuse était touché. Il avait une balle dans la jambe à la hauteur de la cuisse et perdait un peu de sang. Sa blessure ne semblait pas grave.
— Comment t’appelles-tu ?
— Lièvre bondissant. Me répondit le jeune guerrier.
Après l’avoir soigné et lui avoir fait un bandage à l’aide de ma chemise, je lui demandais de m’attendre je le ramènerais au village.
Corne Furieuse fuyait toujours. Après quelques instants je fus sur leurs talons.
Il s’arrêta brusquement, me fit face et me dit d’un air très méprisant.
— Fuir n’est pas dans la tradition Iroquoise, tu veux la fille, viens la chercher. Il avait son couteau dans la main droite et me faisait signe d’avancer de la main gauche. Je dois dire que ce guerrier était impressionnant, il avait en lui une violence naturelle qui en faisait un combattant redouté. L’espace d’un instant je fus troublé par son attitude belliqueuse.
Je tentais une dernière conciliation.
— Je ne souhaite pas ta mort Corne Furieuse, je veux que tout cela se termine bien. Range ton couteau et relâche Anahareo. Elle s’est engagée avec moi, elle ne pourra jamais être ton épouse.
L’Indien sembla l’espace d’un instant déstabilisé et poursuivit, m’invitant de la main à venir me mesurer à lui.
Le combat au couteau était inévitable. Je sortis le mien. Corne Furieuse poussa un cri de guerre et se jeta sur moi. J’évitais de justesse le premier assaut, mais déjà il tentait de me porter un second coup. Je parais une nouvelle fois son attaque, mais j’allais devoir engager le combat sinon cet homme me tuerait. Je ne le quittais pas des yeux alors qu’il tournait autour de moi. Il me porta un troisième coup qui cette fois m’atteignit au corps. Je ne sentis aucune douleur, je vis simplement du sang couler de la plaie. Corne Furieuse revint vers moi et tenta de me porter un nouveau et ultime coup. C’est à cet instant que contre mon gré, je lui assénais un violent coup de couteau avec tout ce qui me restait d’énergie. La lame pénétra profondément. L’Indien poussa un dernier cri de détresse, mélange de stupeur et d’étonnement. Il s’affaissa sur les genoux, puis dans la poussière du chemin, face contre terre. La mort de Corne Furieuse fut rapide. Nous eûmes le temps de l’accompagner, Anahareo et moi-même dans les prières des morts. Lui permettant de rejoindre dignement ses ancêtres disparus dans les guerres indiennes. Anahareo lui tint la tête, ce fut probablement pour lui une mort plus douce de partir accompagné par celle qu’il désirait.
Puis elle se préoccupa de ma blessure, après m’avoir serré très fort dans ses bras comme pour me protéger.
Je pouvais marcher mais ma blessure était profonde.
Nous rejoignîmes Lièvre Bondissant et nous lui expliquâmes ce qui s’était passé. Il un mouvement de révolte à mon encontre puis réprima un sanglot.
Il pleura dignement la perte de son frère et dit simplement :
« Je savais que tout cela finirait ainsi, j’ai souvent essayé de lui faire comprendre que nous étions dans une autre époque, que les choses avaient changé, mais il ne m’écoutait pas. Quand j’étais plus jeune, il me frappait, je l’ai donc suivi naturellement, il était l’aîné »
Nous rejoignîmes le camp assez péniblement, il nous fallut trois jours entiers, pour refaire ce trajet que nous avions réalisé en à peine vingt-quatre heures.
De retour au village, ce fut la joie. Akecheta prit Anahareo dans ses bras, sa famille était au grand complet et tous me remercièrent. Pour ma part je n’étais pas si fier, un membre de la tribu était mort et je voyais que la famille de Corne Furieuse pleurait avec dignité la disparition de leur fils.
*
Pendant les réjouissances qui marquaient le retour d’Anaharéo, alors qu’un immense feu avait été fait et que les derniers guerriers dansaient la danse du… sur un crépuscule bleu de Prusse porteur d’espoir je m’isolais et contemplais les perspectives nocturnes. Qu’adviendrait-il de cette civilisation qui était en train de disparaître ? Que deviendraient ses derniers représentants ? Et quelle mémoire laisseraient-ils à l’histoire ? Je demandais à Wakan-Tanka d’accueillir tous ces valeureux guerriers morts sur les plaines de leur liberté et remontais en direction du camp. Anaharéo vint vers moi. Elle ne me posa aucune question, elle prit simplement ma main et m’accompagna en direction de notre futur.







ÉPILOGUE
Ces personnages de Grey Owl et de son épouse Anahareo ont servi de prétexte à cette nouvelle. Si la réalité était probablement autre, le but de cette histoire n’était que de faire renaître ces noms qui probablement aux yeux de jeunes lecteurs ne seraient jamais sortis de l’oubli. Pour ma part j’ai été fasciné par cet homme que certains présentent comme le premier écologiste. Aujourd’hui ses livres parlent pour lui, des sites internet lui sont consacrés, un film à même été réalisé sur lui par Richard Attenborough avec Pierce Brosnan dans le rôle principal. Au Canada cet homme est une légende vivante et une fierté nationale. Il convient de ne pas oublier sa compagne Anahareo, une femme de tempérament qui poussa Grey Owl à laisser le métier de trappeur au profit d’une vocation d’humaniste qu’il remplit à merveille.
Que Grey Owl et Anahareo reposent en paix, ils m’ont fait rêver et le rêve n’a pas de prix.

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